Alea Jacta Est

Lisabelle l'avait quitté sur la plus belle des promesses, conduite par Edward à l'abri du palais de Saint-Germain où elle pourrait se changer avec plus d'aisance. Et même s'il avait peiné à s'en séparer, il avait préféré la quitter pour le reste de la chasse qui se passa sans encombre. La moisson fut bonne, et ils rapportèrent plusieurs gibiers de choix dans leurs atours. Mais le visage de Théodore était resté teinté d'une ombre cruelle suite au coup de poignard asséné par son plus proche et plus fidèle allié. Il n'oubliait pas qu'Edward avait menacé de réduire son fugace bonheur à l'état de néant. Et une discussion était plus que nécessaire pour éclaircir l'affaire Lisabelle.

Le prince avait regagné ses appartements, retirant avec soulagement les lourdes bottes de chasse et la chemise pleine de sueur avant de se glisser dans un bain. L'hygiène avait – pour les gens du Nord – une signification plus importante que pour les français. Et Théodore tenait absolument à être irréprochable sur ce point. Si Edward était présent, le Suédois ne lui décocha ni un mot, ni un regard, encore trop furieux pour parvenir à formuler calmement ses paroles.

Il prit le temps de se rhabiller et de dîner, avant de finalement s'installer à la lueur d'une bougie, faisant convoquer son Ombre qui ne devait pas être loin.

"J'espère que tu es satisfait de toi et de ta misérable action de plus tôt." Lâcha-t-il sèchement alors qu'il se tenait à son bureau, cherchant les mots pour écrire à sa mère qu'il pensait avoir trouvé l'épouse qu'il lui fallait.

"Comment as-tu pu me faire ça Edward ? Pire, lui faire ça à elle ?"

Edward ne regrettait en rien les paroles qu'il avait prononcé même si elles avaient finalement étaient vaines. Et le désespoir de la jeune femme l'avait troublé. Il ne la pensait pas plus sincère qu'avant mais il doutait et il n'avait donc pas prononcé une parole plus dure à Lisabelle en la raccompagnant. D'ailleurs, il était resté silencieux le reste de la journée, méditant sur la situation.

Il savait que Théodore était furieux et il avait donc préféré qu'il se calme avant de lui parler, de tenter de le raisonner. Cela n'arriva que le soir. Il entra donc dans les appartements de son pupille, l'observant à son bureau, l'écoutant avant de prendre la parole :

- Théodore. Je suis ton ombre, ton protecteur, ton ami. Et c'est en ces qualités que j'ai agis. C'est bien trop beau pour être vrai Théo. C'est notre dernière escale avant le retour, cette femme dont on ne sait rien apparait, placée à tes côtés par la volonté du roi. Si elle ne cherche pas à t'atteindre par ambitions personnelles c'est pour satisfaire celles de son Roy. Je ne peux pas laisser faire ça. Si tu l'épouse, Louis aura toujours un oeil sur ce que tu fais. Toujours. Et même si elle semble s'être attachée à toi plus qu'elle ne l'aurait dû pour le bien de sa mission, elle reste un soldat.

Il avait déclaré tout cela d'un ton calme, sachant que son ami pourrait être blessé par la vérité. Il s'approcha d'un pas lent.

- Tu es prince Théodore... Je sais très bien qu'elle a du te dire qu'elle voyait l'homme sous la couronne et tout ce baratin que tu rêvais d'entendre. Mais elle reste une espionne... Bonne comédienne de plus.

Théodore était resté silencieux pendant qu'Edward tâchait de justifier sa sinistre action. L'œil noir, le prince arborait une figure qui n'augurait rien de bon, mélange de résolution, d'obstination et de colère. Pourquoi tentait-il de le détromper ? De le faire renoncer ? Il comprenait certes son inquiétude, de cette femme sortie de nulle part, maniant l'épée aussi bien que le pistolet. Mais il devait à chaque fois voir le mal partout et essayer d'éveiller la méfiance de l'insouciant prince ne suffisait pas à écarter ses sentiments pour une femme qui avait éveillé en lui des émotions qu'il ne connaissait pas.  

Se redressant lentement pour faire face à son ami, croisant les bras dans son dos afin de rester aussi calme que possible, Théodore prit la parole sèchement :  

"Bon Dieu, mais ne parles-tu toujours qu'au nom de la raison d'État ?! Je suis un homme Edward ! Comme toi ! Comme Mark ! Seule la couronne qui échouera sur mon crâne me différencie de vous. N'as-tu jamais été amoureux bon sang ?! Accepterais-tu que l'on te dise que celle que tu choisis n'est pas la bonne et qu'elle cherchera à te blesser ? Je ne veux pas te croire. Je ne te croirais pas."

Il soupira, se détournant pour s'approcher de la fenêtre.

"Tu te trompes sur elle. Même si je renonce au trône, surtout cela, elle m'épousera. Je le sais. Rien de ce que tu pourras dire ou faire ne m'en empêchera."

Théodore, pourtant, était assez futé pour savoir que sans l'aval de son Ombre, sa famille n'accepterait sans doute pas ce mariage. Et les doutes d'Edward au sujet de l'élue de son cœur serait sans conteste un obstacle.  

"Toutefois, je t'autorise à mener des recherches sur elle. Son identité. Peut-être pourras-tu lever le voile sur... sur certains mystères."

Edward s'était attendue à cette réaction. Bien sur qu'il avait déjà été amoureux. Et il savait qu'en pareil situation, la vérité était souvent bien trop difficile à voir, impossible même.

Il le laissa donc mesurer toute l'ampleur de ce qu'il venait de dire, et finalement, cela paya. Il eut sa permission d'enquêter sur elle. Cela était la possibilité de lui fournir des preuves de ce dont il était persuadé. Et il mènerait son enquête avec sérieux, levant le voile de l'histoire de cette femme qui avait réussi à se faire une place dans un monde d'hommes.

Il s'approcha alors de la fenêtre, de son ami, se postant à côté de lui en observant l'horizon, déclarant :

- Je mènerais mes investigations et l'interrogerais... Si je me suis trompé, je te présenterais mes excuses, ainsi qu'à elle.

Il était inutile de préciser que si il avait raison, cette femme serait sans doute morte avant même que Théodore n'ait pu lever le petit doigt pour la sauver. Personne ne menaçait la couronne de Suède impunément.

Il n'ignorait pas le caractère ombrageux – presque secret – d'Edward. Le poids de sa fonction pesait lourdement sur ses épaules, même s'il la remplissait avec sérieux. Il accompagnait Théodore dans toutes ses folies et ses envies. Et ils avaient eu de bons moments l'un avec l'autre, ce qui n'empêchait pas les disputes. Pour le prince, son Ombre était une partie de sa vie qu'il n'aurait échangé pour rien au monde, et cela malgré sa défiance et son trop grand sérieux parfois.  

"Si tu découvres quelque chose qui pourrait me déplaire, je veux le savoir avant que tu ne prennes la moindre des décisions."

Théodore connaissait suffisamment son ami pour savoir qu'il était capable du pire s'il s'agissait de son honneur, ou de celle de la couronne. Aussi préférait-il prendre les devants avant de se retrouver devant le fait accompli.

"Il y a autre chose dont tu souhaites me parler ?"

Edward le regarda, soupira en approuvant finalement. Il posa une main sur son épaule, se voulant rassurant et apaisant.

- Non Théodore. Mais je suis content qu'on est pu parler de ça. Je ne veux que ton bonheur. Saches le... Mais aussi ta sécurité et celle de ton royaume. Je te laisse à ta correspondance...

Il se détourna alors en silence sans ajouter un mot de plus.