Coeur de femme

Toutes ces idées occupèrent la nuit de Lisabelle et accaparèrent ses rêves. Si bien qu'au matin, profitant de sa convalescence, elle sortit d'une malle une robe, peut-être un peu passé bien qu'elle n'est pas un sens suffisamment affuté de la mode pour le réaliser, qu'elle enfila, remontant ses cheveux maladroitement. Elle observa son reflet, était-elle jolie ? Elle avait parfois la sensation de ne pas être ni homme ni femme. Et cette quête identitaire la préoccupait de plus en plus sans qu'elle ne trouve jamais moyen d'en parler à personne. Elle s'arrangea un peu devant la glace, s'observant sous toutes les coutures avant de sourire, ce n'était pas si mal.

Enthousiaste pour une raison qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer à elle même, elle sortit ainsi de la petite chambre qu'elle occupée, faisant fit des regards qui se posaient sur elle, interloqués. Son supérieur, Ferdinand, lui fit les gros yeux mais son regard s'attarda trop longtemps sur sa silhouette pour qu'il ne la retienne. Elle entra bientôt dans la caserne des mousquetaires, cherchant Laurent, elle avait besoin de son avis sur la question.

Le brigadier de Flone, lui, était bien loin de toutes ces préoccupations triviales. Occupé la veille par la protection royale, il avait quitté son poste avant le retour de Lisabelle de sa mission auprès du prince de Suède. Nullement au courant de ses mésaventures, il avait passé une soirée sympathique avec ses camarades, buvant bière sur bière et jouant aux dés avant de rentrer se coucher – passablement éméché. Le jour était arrivé, le tirant de son sommeil. Il s’était alors vêtu de son uniforme, se préparant à sortir avant de croiser la route d’une lingère qui ne cessait de lui lancer des œillades appuyées depuis des semaines. Le jeune gascon n’était après tout qu’un homme comme un autre, et après avoir échangé quelques mots, la servante l’avait entraîné alors à l’écart – dans l’une des alcôves pour venir déposer un baiser sur les lèvres du géant. Dressée sur la pointe des pieds, ses bras passés autour de sa nuque, Laurent glissa une main sur la chute de rein de la lingère avant de lui rendre son baiser.

Il ignorait qu’en bas ses collègues riaient en voyant arrivé une jeune fille qui visiblement le cherchait. Et ces idiots lui indiquèrent alors le chemin. Quelques secondes plus tard, la demoiselle surprit les deux jeunes gens dans leur baiser passionné, faisant sursauter Laurent qui mit quelques secondes à la reconnaître avant d’écarquiller les yeux.

« Lisabelle ?! »

Pourquoi se sentait-il comme prit en faute ? Rien ne le liait à Lisabelle – du moins se plaisait-il à le penser – hormis une amitié sincère qui s’était noué durant des mois de formation. Puis après, lorsqu’ils avaient découvert sa vraie nature et que Laurent avait tenté de préserver sa place au sein des mousquetaires au risque de perdre la sienne.

« Lisabelle, attends… »

Les oeillades appuyées et les remarques grivoises glissaient ce matin-là sur Lisabelle comme de l'eau sur sa peau de lait. Elle n'écoutait pas, elle ne répondait pas aux provocations. Elle ne les remarquait qu'à peine dans les rires gras de la salle où quelques soldats, pour savoir la vérité, l'avait reconnu. Que faisait-elle ici ? Dans cet accoutrement ? Si il avait vu Laurent s'éloigner avec la domestique, Achille de Montaron l'aurait certainement retenue, par égard pour sa pudeur ? Pour les sentiments qu'il devinait entre les deux jeunes gens ?

Quoi qu'il en soit, il ignorait l'actuelle occupation du mousquetaire et ne pu donc lui cacher la vérité. Une vérité transcendante, renversante. Elle se figea à l'angle du couloir devant cette scène, son coeur manquant un battement. Son teint pâle, dépourvu de fard blêmit anormalement alors que ses yeux bleus s'embuaient et que sa lèvres inférieure frémissait. Elle fit un pas en arrière finalement, baissa le menton en tournant les talons, fuyant alors que derrière elle résonnait l'appel de son ami, de son frère de coeur et d'arme.

Une main poser sur ventre comprimé par le corset, elle prit une grande bouffée d'air frais, inspirant et expirant bruyamment alors qu'elle semblait manquer d'air et réprimait ses larmes.

Pourquoi était-elle ainsi frappé par ce qu'elle venait de surprendre ? Elle savait bien que Laurent avait des aventures, elle devait s'en douter. Et pourtant... Il y avait cette part d'elle qui avait espéré lui plaire, qui avait voulu lui plaire. Cette part d'elle qui voulait hurler en cette instant, brisant son coeur dans sa fureur.

Elle n'avait pas ralenti, elle ne s'était pas arrêtée, elle avait obliqué, ne voulant surtout pas qu'il la rattrape, loin des manigances féminines. Sa main trembla bientôt sur la poignée de sa chambre. Elle l'ouvrit d'un discret coup de pied en maudissant son ridicule, se fustigeant pour cette faiblesse sentimentale. Comment avait-elle pu penser passer pour jolie ? Même cette domestique était plus belle qu'elle... Elle se laissa tomber dans les draps de son lit... Son coeur qui n'avait demandé qu'à aimer voulait maintenant mourir.

Le cœur de Laurent martelait violemment sa poitrine, et ce n’était pas en raison du baiser – il en avait l’intime persuasion. Jamais il ne se serait attendu à la voir dressée au bout de ce couloir, habillée comme elle ne l’avait jamais été, comme cette femme qu’elle se refusait à être complètement et que pourtant lui percevait dans le moindre de ses gestes et de ses sourires. Il l’avait appelé d’abord, puis repoussant la lingère s’était finalement lancée à sa suite. Le bruit de ses pas résonnait dans les couloirs, peuplant le silence et permettant au jeune brigadier de suivre son amie à la trace avec aisance, le regard inquiet balayant la coursive.

Cette scène inattendue l’avait troublé plus que de raison. Et il ne comprenait la réaction de sa compagne qui l’apercevait pour la première fois dans une position plus intime qu’à l’accoutumée. Toutefois, la sensation de trahison lui tapissait la gorge, et lorsqu’il entendit la porte de la chambre de la jeune femme claquer il ne parvint qu’à se figer sans parvenir à faire un geste.

Pouvait-il réellement venir la troubler alors que visiblement son envie n’était pas de le voir, bien au contraire ? Pourtant, qu’avait-il fait sinon de suivre une charmante jeune femme dans ses tribulations érotiques ? Devait-il s’en justifier ? Il ne savait pas. La seule chose dont il était persuadé, c’était que les deux soldats – et amis de longue date – devait absolument éclaircir tout ce qu’il venait de se passer.

Alors, le poing s’abattit doucement contre le bois de la porte.

« Lisa, je peux entrer s’il-te-plaît ? »

Il avait besoin de lui parler. De lui dire que cette robe lui allait à ravir, qu’il ne voulait pas qu’elle assiste à cela. Qu’il était désolé.

« Est-ce que tu veux bien me laisser t’expliquer ? »

Lisabelle était allongée dans son lit, des larmes roulant sur ses joues, quand elle entendit frapper à sa porte, et sa voix. Elle se mordit la langue en se redressant, reprenant un peu contenance en essuyant ses yeux rougis et ses joues humides. Elle se mordit la langue, non elle ne voulait pas qu'il rentre. Elle ne voulait pas qu'il la voit ainsi... En larmes ? En robe ? Elle s'était égarée. Elle devait se ressaisir. Elle pinça les lèvres :

- Il n'y a rien à expliquer Laurent. Laisses moi...

Oui... Qu'il la laisse. La laisse seule. La laisse tranquille. Qu'il retourne l'oublier dans les bras des jolies lingères. Elle n'avait pas plus le droit de le lui reprocher que de lui défendre. Et il n'avait pas à lui expliquer, il n'avait aucun compte à lui rendre.

Ses ongle griffèrent sa peau alors qu'elle se repliait sur elle même, s'enroulant dans ses bras comme elle aurait serré une peluche contre sa poitrine. Sauf qu'il n'y avait pas de peluche, ni de jolie poupée. Seulement le vide et la solitude. Elle commença à tirer sur le tissu, impitoyable, elle devait se changer et retrouver son poste auprès du prince de Suède, ne pas s'oublier plus longtemps. Elle était soldat. Comme on avait toujours souhaité qu'elle le soit.

Défaisant son chignon, elle noua ses cheveux bruns d'un ruban et tira sur le col de sa chemise d'un geste machinal pour le redresser. Cachant la robe sous son lit d'un geste avant de regarder son reflet. Elle détourna le regard.

Elle le pensait parti, ceignait son épée à sa ceinture quand elle ouvrit la porte, obligée de se figée pour ne pas lui rentrer dedans. Elle pinça les lèvres, voulut le contourner :

-Son Altesse de Suède doit m'attendre.

L'attendre ? Cela serait étonnant. Toujours est l qu'elle était sensée se tenir à ses côtés. Non s'abandonner à de coquettes futilités. Que lui arrivait-il ?..

Le mousquetaire avait soupiré en entendant la voix qui avait voulu être assurée, qui le renvoyait à ses tâches et au bras des autres femmes. Des autres. Il y en avait eu. Quelques-unes. Pas une floppée. Il était jeune, mais n’était pas du genre à se perdre avec des inconnues. Pour lui, tout passait par la séduction, le temps aussi seul pouvait établir une relation durable. Ce baiser ce n’était pas un engagement, mais une étape. Toutefois, il sentit qu’il l’avait blessée. Aussi, il se résolu à l’attendre quoiqu’il arrive. Qu’importe le temps que cela prendrait, elle ne pouvait pas rester enfermée pour toujours.

Il s’appuya donc contre le mur, tendant l’oreille au moindre bruit provenant de la chambre. Plusieurs minutes plus tard – qui lui semblèrent une éternité – la porte s’ouvrir sur une Lisabelle revenue à son rang de soldat. A son identité d’homme qui lui collait à la peau. Le Gascon se plaça devant l’entrée, lui barrant le passage, bien décidé à s’expliquer. Il pinça les lèvres alors :

« Il est encore trop tôt pour que tu prennes ton post, et je ne partirai pas tant que nous n’aurons pas discuté de ce qu’il vient de se passer. »

Il l’observait avec attention. Il lui semblait étrange qu’elle songe à enfiler une robe, alors que ce prince venait tout juste d’apparaître. Le lien lui semblait facile à faire : et si elle avait voulu se prouver qu’elle était une femme ? Une femme en mesure de plaire à un homme ? Cela n’avait rien d’étonnant. Sa vie était si particulière qu’il était facile de se perdre dans son identité. Laurent soupira en la regardant.

« Je suis désolé que tu ais vu ça Lisabelle. Ce n’était pas… ce n’était pas important pour moi. Cela n'avait aucune signification. »

Lisabelle pinça les lèvres lorsqu'il lui barra volontairement la route une seconde fois et lui fit comprendre qu'il ne la laisserait pas passé tant qu'ils n'auraient pas eu une discussion. Tant qu'ils n'auraient pas parlé de ce qu'il venait de se produire. Elle serra les dents en croisant les bras sur son torse, s'entêtant durant qu'il reprenait, après un court instant, la parole.

Il lui parla ouvertement alors du baiser qu'elle avait surpris, de ce moment d'égarement pour lui. De cette seconde où tout avait basculé pour elle. Il avait suffit d'un regard. Refermée comme une huître sous un masque de glace, elle ne broncha pas, fuyant son regard. Répliqua bientôt d'un ton sec :

- Mais tu n'as aucun compte à me rendre de Flone. Tu fourres tes lèvres dans la bouches de qui tu veux. Je n'en ai cure. Maintenant laisse moi passer. Cesses donc de te justifier comme un gosse et assumes tes actes en homme, ça nous changera.

Elle tenta une nouvelle fois de passer, visant un passage étroit laissé entre lui et le mur sur son côté gauche. Elle voulait rejoindre son poste, s'oublier dans son devoir et ses responsabilités.

Il connaissait parfaitement ce regard, cette moue butée. Laurent avait l’habitude de Lisabelle, et inversement. Et il su percevoir qu’elle était blessée par ce qu’elle avait surprit plus tôt. Et elle le réprimanda sèchement avant de tenter de forcer le passage à nouveau.

Le mousquetaire fit un pas vers la gauche, passant fermement un bras autour de la taille pour la retenir et tourner son visage vers elle. Lisabelle était plutôt grande, mais il la dominait de haut. Et son ton froid et ses paroles blessantes ne l’autorisait pas à la laisser partir.

« Ce n’est pas en répondant comme tu le fais que tu peux m’échapper Lisa. C’est ta réaction qui m’invite à te rendre des comptes. »

Et parce-qu’elle avait pleuré, mais ça il ne pouvait le lui dire sans provoquer une colère dans laquelle il risquait plus que quelques bleus.

« Cette robe. Tu avais l'air... différente. »

Prisonnière de ses bras bientôt, à la merci de sa force quand elle rstait malgré les années d'entrainement : une femme. Elle se débattit pourtant pour lui échapper, ruant et cabrant désespérément, oui, c'était cela, une forme de désespoir.

Elle donna un coup de talon dans les orteils du géant, le repoussant fermement. Pourtant ses larmes remontaient à ses yeux, elle du détourner le menton pour les cacher alors qu'elle s'était reculée, libre de son étreinte, prisonnière de cette chambre.

Le visage clos, les lèvres pincée dans une moue sévère, elle serra les mâchoire et fixa un point lointain en déclarant :

- Je ne te permet pas d'un jour évoquer à nouveau cette mascarade ! Je suis Liam de Saverne. Brigadier de la Garde Suisse de sa Majesté Louis XIV de France.

Et elle le serait toujours.

- Maintenant de Flone, retourne à ton poste. Tu n'as rien à faire ici.

Dans l'embrasure de la porte apparut alors Ferdinand de Guéret, le lieutenant de la jeune femme, au visage rayonnant.

- Tu as entendu de Flone ? Laisses-la tranquille et retournes d'où tu viens.

Laurent l’avait évidemment envisagé, avait raffermi sa prise non sans mal malgré les mouvements de fureur de Lisabelle qui ne supportait pas de se voir mise face à ses propres failles. Elle était une femme, malgré ses atours et ses armes. Et le brigadier se plaisait à croire que dans un autre temps, cela ne serait pas incompatible avec sa fonction. Mais aujourd’hui et maintenant, elle était contrainte de le choisir.
Le coup le frappa aux orteils, et il recula de quelques pas, grimaçant alors qu’il la relâchait et qu’elle dardait sur lui un regard aussi froid que la glace. Il l’avait blessé, elle faisait de même en retour.

« Je ne te comprends pas Lisabelle. »

Pourquoi se déguiser alors ? Pourquoi venir le voir si elle était si sûre d’être Liam de Saverne et non Lisabelle ? Elle l’ignorait, parce-qu’elle était à la fois les deux. L’eau et le feu. Homme et Femme. Dure et tendre. Toutefois, Laurent ne pouvait encore supporter une autre crise, plus encore lorsque la voix de Ferdinand vient leur rappeler qu’ils n’étaient pas seuls.

« Bien, brigadier. Au cas où il te plairait de te rappeler que j’ai toujours été ton ami, je serais à la caserne. »

Il était blessé, mais n’insista pas, s’éloignant non sans donner un coup d’épaule à Ferdinand au passage, qui ne cachait pas son plaisir de voir les deux amis se disputer devant lui. Laurent avait toujours détesté le Suisse, et celui-ci le lui rendait bien. De surcroit, il était par le rang son supérieur, ce qui l’empêchait de pouvoir agir contre lui. Toutefois, il n’avait encore jamais réussi à les séparer. Jusqu’à ce jour en tout cas. Et bientôt Laurent s’éloigna à grandes enjambées, en direction de son seul foyer. Toute envie de complimenter ou de serrer une jeune femme dans ses bras envolée.